5
Les escarpes

 

 

Drizzt prit la tête du cortège alors que les quatre compagnons trottaient le long des berges de la rivière Mirar, mettant autant de distance que possible entre eux et Luskan. Même s’ils n’avaient pas dormi depuis de nombreuses heures, l’adrénaline coulait encore à flots dans leurs veines depuis leurs échauffourées dans la Cité des Navigateurs et aucun d’entre eux ne se sentait fatigué.

Quelque chose de magique flottait dans l’air cette nuit-là, un frémissement qui aurait fait taire les lamentations du voyageur le plus épuisé. La rivière qui coulait vivement, gonflée par les fontes de printemps, scintillait dans le rougeoiement du crépuscule, tandis que ses moutons captaient la lumière des étoiles et la renvoyaient dans l’air en un jet de gouttelettes étincelantes.

D’ordinaire prudents, les amis ne purent s’empêcher de baisser leur garde. Ils ne sentaient aucun danger rôder, ne sentaient rien que la fraîcheur vive de la nuit de printemps et le mystérieux magnétisme des cieux. Bruenor était absorbé dans des rêves de Castelmithral ; Régis dans des souvenirs de Portcalim ; et même Wulfgar, tellement abattu par sa funeste rencontre avec la civilisation, sentait son moral remonter en flèche. Il se souvenait de telles nuits sur les vastes espaces de la toundra, lorsqu’il rêvait à ce qui se trouvait derrière l’horizon de son monde. Désormais, ayant franchi ces horizons, Wulfgar trouvait qu’il ne manquait qu’un seul élément. Il se surprit à souhaiter que Catti-Brie, la femme qu’il s’était mis à chérir, soit avec lui, en ce moment, pour partager la beauté de la nuit, alors même que de si douces pensées entraient en contradiction avec l’esprit d’aventure.

Si les autres n’avaient pas été si occupés par leur propre contemplation, ils auraient également remarqué que la démarche de Drizzt Do’Urden, déjà gracieuse, avait gagné en vivacité. Aux yeux du drow, ces nuits empreintes de magie, lorsque le dôme du ciel touchait l’horizon, le confortait dans la décision la plus importante et la plus difficile qu’il ait jamais prise : le choix d’abandonner son peuple et sa patrie. Aucune étoile ne brillait au-dessus de Menzoberranzan, la cité de ténèbres des elfes noirs. Le plafond dépourvu de toute lueur de l’immense caverne ne recélait aucun attrait mystérieux et ne faisait vibrer aucune corde sensible.

— Combien les miens ont-ils perdu en s’enfonçant dans les ténèbres, murmura Drizzt à la nuit.

Le magnétisme des mystères de l’infini emportait l’allégresse de son esprit au-delà de ses limites habituelles et ouvrait son âme aux questions sans réponse du multivers. Il était un elfe et, bien que sa peau soit noire, il subsistait dans son âme un reliquat de la joie et de l’harmonie qui animaient ses cousins vivant à la surface. Il se demandait dans quelle mesure ces sentiments prospéraient vraiment parmi son peuple. Restent-ils dans les cœurs de chaque drow ? Ou bien des éternités de transcendance ont-elles éteint les flammes spirituelles ? Drizzt pensait que les drows en se retirant dans les profondeurs de la terre avaient perdu au nom de la raison leur bien le plus précieux : la spiritualité.

Le miroitement cristallin de la Mirar se ternit graduellement au fur et à mesure que les premiers feux de l’aube affaiblissaient l’éclat des étoiles. Une déception tacite pour les amis alors qu’ils installaient leur camp dans un coin abrité, près des berges de la rivière.

— Pensez donc à quel point de telles nuits sont rares, observa Bruenor tandis que les premières lueurs du jour ourlaient l’horizon, à l’est. Un reflet dansa dans son regard, il révéla les merveilleux vagabondages de l’esprit auxquels le nain d’ordinaire très terre à terre se laissait rarement aller.

Drizzt remarqua l’expression rêveuse du nain et se rappela les nuits pendant lesquelles Bruenor et lui avaient veillé sur la Rampe de Bruenor, leur lieu de réunion secret, dans la vallée du nain, à Dix-Cités.

— Trop rares, acquiesça-t-il.

Ils se mirent au travail avec un soupir résigné, Drizzt et Wulfgar préparèrent le petit déjeuner tandis que Bruenor et Régis examinaient la carte qu’ils avaient obtenue à Luskan.

Même s’il grognait souvent après le halfelin et même s’il ne cessait de le taquiner, Bruenor avait en fait insisté pour que Régis les accompagne, et ce pour une raison bien précise et indépendante de leur amitié. Car, si le nain dissimulait bien ses émotions, il avait été réellement ravi quand Régis les avait rejoints en soufflant et en haletant sur la route partant de Dix-Cités, pour leur demander à la dernière minute s’ils acceptaient qu’il se joigne à la quête.

Régis connaissait en effet la contrée de l’Épine dorsale du Monde mieux qu’aucun d’entre eux. Bruenor lui-même n’était pas sorti de Valbise depuis près de deux siècles et il n’était alors qu’un imberbe enfant-nain. Wulfgar n’avait jamais quitté le Val et le seul périple de Drizzt à la surface du monde s’était résumé à une aventure nocturne. Il avait glissé d’ombre en ombre en tâchant d’éviter tous les lieux où les compagnons devraient désormais se rendre s’ils voulaient trouver Castelmithral un jour.

Régis fit glisser son doigt sur la carte tout en narrant avec animation à Bruenor ses expériences dans chacun des lieux indiqués, en particulier Mirabar, la très riche cité minière au nord, et Eauprofonde, qui portait si bien le nom de Cité des Splendeurs, située le long de la côte au sud.

Bruenor observa la carte et étudia les particularités physiques du terrain.

— Mirabar s’rait plus à mon goût, dit-il enfin en indiquant l’emplacement de la cité, blottie dans les versants sud de l’Épine dorsale du Monde. Castelmithral est dans les montagnes, ça, j’le sais, et ne se trouve pas près d’la mer.

Régis médita les paroles du nain, puis très vite il indiqua un autre endroit qui, d’après l’échelle de la carte, était situé à plus de cent cinquante kilomètres de Luskan à l’intérieur des terres.

— Longueselle, dit-il. À mi-chemin de Lunargent, et précisément à mi-chemin de Mirabar et Eauprofonde. Un bon endroit pour décider de notre itinéraire.

— Une ville ? demanda Bruenor avec surprise, car la marque sur la carte n’était qu’un petit point noir.

— Un village, corrigea Régis.

» Très peu de gens habitent là-bas, mais une famille de mages, les Harpell, y vit depuis de nombreuses années et ses membres connaissent les contrées du nord comme personne. Ils nous aideront volontiers.

Bruenor se gratta le menton et hocha de la tête.

— Une sacrée distance. Sur quoi on risque de tomber en route ?

— Les Escarpes, avoua Régis, un peu découragé en se souvenant du lieu. Sauvage et rempli d’orques. J’aimerais qu’il y ait une autre route que nous puissions emprunter, mais Longueselle reste encore le meilleur choix.

— Toutes les routes du nord sont dangereuses, lui rappela Bruenor.

Ils continuèrent leur examen de la carte. Régis se souvint de plus en plus de choses au fur et à mesure. Une série de marques insolites et non identifiées, trois en particulier, qui suivait une ligne presque droite directement à l’est de Luskan jusqu’au réseau de rivières au sud de Bois Tapi, attira l’œil de Bruenor.

— Des tumulus ancestraux, expliqua Régis. Les lieux sacrés des Uthgardt.

— Uthgardt ?

— Des barbares, répondit Régis d’un ton lugubre. Comme ceux du Val. Plus versés peut-être dans les coutumes de la civilisation, mais non moins féroces. Leurs diverses tribus sont disséminées un peu partout dans les contrées du nord.

Bruenor grogna en comprenant la consternation du halfelin. Car il connaissait trop bien lui-même la sauvagerie et l’habileté au combat des barbares. Les orques seraient des ennemis bien moins redoutables.

Lorsque les deux compères eurent fini leur discussion, Drizzt était étendu à l’ombre fraîche d’un arbre qui surplombait la rivière et Wulfgar était en train de dévorer sa troisième portion de petit déjeuner ; il en était à la moitié.

— Tes mâchoires dansent encore pour la nourriture à ce que j’vois ! s’écria Bruenor en remarquant que la poêle était presque vide.

— Une nuit riche en aventures, répliqua gaiement Wulfgar, et ses amis furent heureux de constater que la rixe n’avait apparemment pas altéré son tempérament. Un bon repas, du repos, et je serai de nouveau prêt à prendre la route !

— Prends pas trop tes aises tout de suite, hein, ordonna Bruenor. Tu dois assumer un tiers de la garde ce jour !

Régis releva la tête, perplexe, toujours prompt à reconnaître une augmentation de sa charge de travail.

— Un tiers ? demanda-t-il. Pourquoi pas un quart ?

— Les yeux de l’elfe sont pour la nuit, expliqua Bruenor. Il faut qu’il soit prêt à trouver notre chemin lorsque le jour aura laissé place à la nuit.

— Et où est notre chemin ? demanda Drizzt depuis son lit de mousse. As-tu pris une décision quant à notre prochaine destination ?

— Longueselle, indiqua Régis. Trois cents kilomètres à l’est et au sud, en contournant le bois du Padhiver et en traversant les Escarpes.

— Le nom m’est inconnu, répliqua Drizzt.

— Là où vivent les Harpell, expliqua Régis. Une famille de mages connue pour leur hospitalité bon enfant. J’ai passé un moment là-bas lorsque j’étais en route pour Dix-Cités.

L’idée ne plaisait guère à Wulfgar. Les barbares de Valbise méprisaient les mages. Il considérait la magie noire comme un pouvoir auquel seuls les lâches avaient recours.

— Je n’ai aucune envie de poser les yeux sur cet endroit, déclara-t-il d’un ton catégorique.

— Qui te demande ton avis ? gronda Bruenor, et Wulfgar sentit sa détermination faiblir, comme celle d’un fils qui préfère ne pas s’entêter afin d’éviter les réprimandes de son père.

— Tu te plairas à Longueselle, lui assura Régis. Les Harpell méritent vraiment leur réputation d’hôtes accueillants et les merveilles de Longueselle te feront considérer la magie d’un tout autre œil. Ils accepteront même… Sans le vouloir il fit un geste en direction de Drizzt et il s’interrompit, gêné.

Mais le flegmatique drow se contenta de sourire.

— Ne crains rien, mon ami, dit-il pour consoler Régis. Tes paroles sonnent juste et j’en suis venu à accepter ma position dans ton monde. (Il fit une pause et regarda chacun d’entre eux.) Je connais mes amis et je fais fi de mes ennemis, déclara-t-il avec un aplomb qui dissipa leurs inquiétudes.

— Avec une lame, ouais, ajouta Bruenor en riant doucement.

Mais Drizzt perçut le chuchotement car il avait l’ouïe fine.

— Si j’y suis obligé, acquiesça le drow en souriant. Puis il se retourna pour dormir un peu, ayant toute confiance dans les aptitudes de ses amis à veiller sur lui.

Ils passèrent une journée nonchalante à l’ombre, au bord de la rivière. En fin d’après-midi, Drizzt et Bruenor mangèrent et discutèrent de leur itinéraire, laissant Wulfgar et Régis profondément endormis, au moins jusqu’à ce qu’ils se soient rassasiés.

— On va suivre la rivière pendant encore une nuit, dit Bruenor. Puis cap sud-est à terrain découvert. Ça nous permettra d’éviter les bois et de tracer une route directe devant nous.

— Il serait peut-être préférable de voyager seulement de nuit pendant quelques jours, suggéra Drizzt. Nous ne savons pas qui nous suit depuis la Cité des Navigateurs.

— Entendu, répliqua Bruenor. Partons, alors. On a une longue route devant nous !

— Trop longue, murmura Régis, en ouvrant paresseusement un œil.

Bruenor lui adressa un regard d’avertissement. Ce périple et le fait d’amener ses amis sur une route dangereuse l’inquiétaient, et ils prenaient toutes les récriminations relatives à l’aventure comme un reproche personnel.

— Pour marcher, je veux dire, ajouta hâtivement Régis. Il y a des fermes dans cette région et il doit bien y avoir des chevaux.

— Le prix pour des chevaux sera bien trop élevé dans ces contrées, répliqua Bruenor.

— Peut-être…, commença le halfelin avec ruse, et ses amis pouvaient facilement deviner ce qu’il pensait. (Leurs froncements de sourcils révélaient une désapprobation générale.) Les Escarpes nous attendent ! argumenta Régis. Des chevaux pourront peut-être semer les orques, mais sans eux, ce qui est sûr, c’est que nous devrons nous battre pour chaque kilomètre de notre voyage ! De plus, ce ne serait qu’un emprunt. Nous pourrions rendre les animaux, une fois que nous n’en aurions plus besoin.

Drizzt et Bruenor n’approuvaient pas la ruse proposée par le halfelin, mais ne pouvaient pas réfuter sa logique. Les chevaux les aideraient certainement à ce stade du voyage.

— Réveille le garçon, grogna Bruenor.

— Et mon plan ? demanda Régis.

— On prendra la décision lorsque l’occasion se présentera !

Régis était confiant, il savait que ses amis opteraient pour les chevaux. Il mangea à satiété, puis rassembla les maigres restes du souper et alla réveiller Wulfgar.

Ils furent bientôt en route, et un peu plus tard, ils discernèrent au loin les lumières d’un petit camp.

— Guide-nous dans cette direction, dit Bruenor à Drizzt. Y se pourrait bien que le plan de Ventre-à-Pattes vaille la peine d’être tenté.

Wulfgar, qui n’avait pas entendu la conversation au camp, ne comprit pas. Mais il ne protesta pas et ne posa pas de question. Depuis le désastre au Coutelas, il s’était résigné à jouer un rôle plus passif pendant le voyage, laissant les trois autres décider de l’itinéraire. Il suivrait sans se plaindre, son marteau à portée de main.

Ils rentrèrent dans les terres, s’éloignant de la rivière, pendant quelques kilomètres, puis tombèrent sur quelques fermes regroupées dans l’enceinte d’une solide clôture en bois.

— Il y a des chiens, dit Drizzt, il les percevait grâce à son ouïe exceptionnelle.

— Ventre-à-Pattes y va seul alors, déclara Bruenor.

Le visage de Wulfgar exprima la confusion la plus totale. D’autant plus lorsqu’il remarqua l’expression du halfelin. Manifestement, Régis n’était guère enchanté par l’idée de Bruenor.

— Ça, je ne le permettrai pas, dit le barbare d’un ton obstiné. S’il y en a bien un parmi nous qui a besoin de protection, c’est le petit homme. Je ne resterai pas caché dans l’obscurité tandis qu’il va tout seul au-devant du danger !

— Il y va seul, répéta Bruenor. On n’est pas ici pour se battre, garçon. Ventre-à-Pattes va nous procurer des chevaux.

Régis sourit, impuissant, pris au piège que Bruenor lui avait clairement tendu. Bruenor l’autoriserait à s’approprier les chevaux. Mais il devait mériter cette permission en faisant preuve d’une certaine responsabilité et d’un certain courage. C’était la manière du nain de se dédouaner de sa participation au vol.

Wulfgar resta inébranlable dans sa détermination à veiller sur le halfelin, mais Régis savait que le jeune guerrier pouvait lui causer des problèmes sans le vouloir dans le cadre de négociations si délicates.

— Tu restes avec les autres, expliqua-t-il au barbare. Je peux m’occuper seul de cette affaire.

Prenant son courage à deux mains, il fit passer sa ceinture par-dessus sa panse et partit en direction du hameau.

Les grondements féroces de plusieurs chiens l’accueillirent alors qu’il s’approchait du portail de la clôture. Il fut tenté de revenir sur ses pas – le pendentif en rubis ne lui serait probablement pas d’une grande aide face à des chiens déchaînés -, mais il vit alors la silhouette d’un homme qui sortait de l’une des fermes et qui se dirigeait vers lui.

— Qu’est-ce que tu veux ? demanda le fermier, le toisant depuis l’autre côté de la clôture et serrant une hallebarde ancienne, probablement transmise par sa famille de génération en génération.

— Je ne suis qu’un voyageur fatigué, commença à expliquer Régis, en essayant de paraître aussi pitoyable que possible.

C’était un refrain que le fermier avait entendu bien trop souvent.

— Va-t’en ! ordonna-t-il.

— Mais…

— Passe ton chemin !

Un peu plus loin, sur une corniche, les trois compagnons observaient la confrontation, même si Drizzt était le seul à suffisamment voir la scène à la faible lueur pour comprendre ce qui se passait. Le drow pouvait percevoir la tension du fermier à la manière dont il était crispé sur la hallebarde. Et il était en mesure de jauger la résolution de l’homme en discernant son expression obstinément fermée.

Mais Régis sortit alors quelque chose de sa veste, et le fermier relâcha presque immédiatement la prise sur son arme. Un moment plus tard, le portail s’ouvrit et Régis entra.

Les amis attendirent avec anxiété pendant plusieurs heures sans voir le moindre signe de Régis. Inquiets pour le halfelin, ils envisagèrent d’affronter eux-mêmes les fermiers. Enfin, alors que la lune n’était pas loin de se coucher, Régis sortit de l’enceinte en précédant deux chevaux et deux poneys. Les fermiers et leurs familles lui firent des signes de la main pour lui dire adieu en lui faisant promettre de s’arrêter et de leur rendre visite s’il repassait un jour par là.

— Impressionnant, dit Drizzt en riant.

Bruenor et Wulfgar se contentèrent de hocher la tête, saisis d’étonnement.

Pour la première fois depuis qu’il était entré dans le hameau, Régis se dit que son retard avait peut-être inquiété ses amis. Le fermier avait insisté pour qu’il partage leur souper avant de s’asseoir pour discuter de la raison de sa visite, et parce que Régis était poli (et étant donné qu’il n’avait mangé qu’un souper ce jour-là), il avait accepté, bien qu’il ait fait en sorte que le repas ne se prolonge pas et ait poliment décliné une quatrième part. Après cela, il avait été plutôt facile d’obtenir les chevaux. On lui avait simplement fait promettre de les laisser aux mages de Longueselle, une fois que lui et ses amis quitteraient la ville pour poursuivre leur voyage.

Régis était sûr que ses compagnons ne pourraient pas être en colère après lui pendant longtemps. Il les avait fait attendre et ils s’étaient inquiétés pour lui pendant la moitié de la nuit, mais ses efforts leur feraient gagner de nombreux jours sur une route dangereuse. Pendant leur chevauchée, après avoir senti le vent leur siffler aux oreilles pendant une heure ou deux, la colère qu’ils pourraient avoir à son encontre tomberait, il le savait. Et même s’ils ne pardonnaient pas aussi facilement, Régis valait toujours une petite contrariété.

Drizzt orienta à dessein le groupe d’amis plus vers l’est que le sud-est. Il n’avait pas trouvé de points de repère sur la carte de Bruenor lui permettant de déterminer, de manière approximative, un parcours sans détours en direction de Longueselle. S’il essayait d’emprunter la route directe et ratait la marque, même d’un cheveu, ils tomberaient sur la route principale qui partait de la cité du nord de Mirabar, et ne saurait pas s’il fallait aller vers le nord ou vers le sud. En se dirigeant directement à l’est, le drow était sûr qu’ils rattraperaient la route au nord de Longueselle. Son trajet allongerait le voyage de quelques kilomètres, mais leur ferait peut-être gagner plusieurs jours en évitant le risque de revenir sur leurs pas.

Leur chevauchée fut tranquille et sans histoires le jour et la nuit suivants, puis Bruenor décida qu’ils étaient suffisamment loin de Luskan pour pouvoir adopter un rythme normal.

— On peut voyager de jour, maintenant, annonça-t-il tôt dans l’après-midi de leur seconde journée avec les chevaux.

— Je préfère la nuit, dit Drizzt.

Il venait de se réveiller et brossait son étalon noir, un animal fin et musclé.

— Pas moi, rétorqua Régis. Les nuits sont faites pour dormir et les chevaux ne peuvent quasiment pas voir les trous et les pierres qui risquent de les blesser.

— Prenons le meilleur de chaque possibilité, proposa Wulfgar qui dissipait les dernières traces de sommeil de sa carcasse en s’étirant. Nous pouvons partir après que le soleil a atteint son zénith, le gardant ainsi derrière nous, ce qui sera plus facile pour Drizzt, et chevaucher tard dans la nuit.

— Bonne idée, garçon, dit Bruenor en riant. L’après-midi est d’ailleurs là. À cheval, donc ! C’est l’heure de partir !

— Tu aurais pu garder tes pensées pour toi, grommela Régis à l’intention de Wulfgar, en hissant de mauvaise grâce la selle sur le dos du petit poney blanc.

Wulfgar vient aider son ami qui peinait.

— Mais nous aurions perdu une demi-journée de chevauchée, répliqua-t-il.

— L’idée me crève le cœur, répondit Régis.

Ce jour-là, le quatrième depuis qu’ils avaient quitté Luskan, les compagnons atteignirent les Escarpes, une bande étroite de pics déchirés et de collines ondoyantes. Une beauté rude, indomptable caractérisait l’endroit, une impression de grande sauvagerie qui insufflait à chaque voyageur un esprit de conquête, le sentiment qu’il pourrait bien être le premier à poser les yeux sur une contrée encore vierge. Et, comme c’était toujours le cas dans les régions désolées, l’anticipation fébrile de l’aventure s’accompagnait d’une part de danger. Ils avaient à peine pénétré dans le premier creux du terrain vallonné que Drizzt repérait les traces qu’il connaissait bien : les piétinements d’une bande d’orques.

— Elles remontent à moins d’un jour, dit-il à ses compagnons inquiets.

— Combien ? demanda Bruenor.

Drizzt haussa les épaules.

— Une dizaine au moins, peut-être deux fois plus.

— On va continuer sur notre chemin, suggéra le nain. Ils sont devant nous, et ça vaut mieux que les avoir derrière nous.

Lorsque le crépuscule arriva, marquant la moitié du parcours de cette journée, les compagnons firent une courte pause, laissant les chevaux paître dans une petite clairière.

La piste des orques était toujours devant eux, mais Wulfgar qui fermait la marche surveillait les arrières de la troupe.

— Nous sommes suivis, annonça-t-il en voyant les regards interrogateurs de ses amis.

— Des orques ? demanda Régis.

Le barbare secoua la tête.

— Je n’en ai jamais vu de tels. D’après ce que je peux déterminer, nos poursuivants sont rusés et prudents.

— Peut-être parce que les orques d’ici connaissent mieux les habitudes des bonnes gens que les orques du Val, remarqua Bruenor.

Mais il soupçonnait autre chose que des orques, et il n’avait pas besoin de regarder Régis pour savoir que le halfelin partageait ses inquiétudes. La première marque sur la carte que le halfelin avait identifiée comme étant un tumulus ancestral ne devait pas être très loin de leur position actuelle.

— En selle, suggéra Drizzt. Une bonne chevauchée pourrait faire des merveilles pour améliorer notre situation.

— On avance jusqu’au coucher de lune, acquiesça Bruenor. Et on s’arrête lorsqu’on repère un lieu propice pour faire face à une attaque. J’ai comme l’impression qu’on va d’voir sortir les armes avant que l’aube nous trouve !

Ils ne rencontrèrent aucun signe tangible pendant la chevauchée, qui leur fit couvrir presque toute l’étendue des Escarpes. Même la piste des orques s’estompa au nord, laissant la voie, devant eux, apparemment libre. Wulfgar était certain, toutefois, d’entendre des bruits derrière eux et de distinguer des mouvements du coin de l’œil.

Drizzt aurait voulu poursuivre jusqu’à ce que les Escarpes soient complètement derrière eux, mais la rudesse du terrain avait fait atteindre aux chevaux la limite de leur endurance. Il s’arrêta dans un bosquet de sapins sur une petite hauteur, soupçonnant fort, comme les autres, que des regards peu amicaux étaient rivés sur eux de toutes parts.

Drizzt fut au sommet d’un arbre avant que les autres aient eu le temps de mettre pied à terre. Ils attachèrent les chevaux les uns à côté des autres, puis s’installèrent autour des animaux. Même Régis n’arrivait pas à dormir, car, s’il avait confiance dans la vision de Drizzt la nuit, son cœur battait déjà vite à l’idée de ce qui allait arriver.

Bruenor, qui avait connu cent combats, se sentait suffisamment sûr de lui. Il se cala tranquillement contre un arbre, sa hache contre la poitrine, une main fermement posée sur le manche.

Wulfgar, toutefois, procédait à d’autres préparatifs. Il commença par rassembler des morceaux de bois et des branches et à aiguiser leurs pointes. Cherchant à mettre le plus de chances possible de leur côté, il les installa en différents points autour de la zone où ils se trouvaient afin de les disposer de la manière la plus stratégique possible, compte tenu de leurs positions, utilisant leurs pointes mortelles pour couper les voies d’approche de ses assaillants. Il usa de ruse pour camoufler d’autres bâtons à des angles qui feraient trébucher et blesseraient les orques avant qu’ils parviennent à lui.

Régis, le plus inquiet de tous, observait tous ces préparatifs et remarquait les différentes tactiques de ses amis. Il avait l’impression qu’il ne pouvait pas faire grand-chose pour se préparer en vue d’un tel combat et il cherchait seulement à rester suffisamment à l’écart afin de ne pas gêner les efforts de ses compagnons. L’occasion se présenterait peut-être pour lui de lancer une attaque surprise, mais, à ce stade, il ne considérait même pas de telles éventualités. Le courage venait au halfelin de manière spontanée. Ce n’était en tout cas jamais quelque chose qu’il planifiait.

Tous les préparatifs et les efforts de diversion leur permirent d’oublier l’angoisse de l’attente. Ils furent presque soulagés lorsque une heure plus tard, à peine, leurs craintes se concrétisèrent. Drizzt leur murmura depuis le faîte de son arbre qu’il y avait du mouvement dans les champs en contrebas du bosquet.

— Combien ? demanda Bruenor.

— Quatre contre un, à notre désavantage, et peut-être plus, répliqua Drizzt.

Le nain se tourna vers Wulfgar.

— T’es prêt, garçon ?

Wulfgar posa son marteau devant lui en le frappant.

— Quatre contre un ? dit-il en riant.

Bruenor appréciait la confiance du jeune guerrier, même si le nain se rendait compte que le combat s’avérerait en fait plus inégal encore, car Régis, selon toute probabilité, ne participerait pas.

— On les laisse arriver ou on les attaque dans le champ demanda Bruenor à Drizzt.

— Laisse-les arriver, répliqua le drow. Ils approchent de manière furtive et ils pensent que l’effet de surprise est avec eux.

— Et une surprise à contre-pied est préférable à un premier coup porté de loin, finit Bruenor. Fais ce que tu peux avec ton arc lorsque le combat s’engagera, elfe. Nous attendrons ton attaque !

Wulfgar imaginait le feu bouillant dans les yeux lavande du drow, une lueur mortelle qui trahissait toujours le calme apparent de Drizzt avant une bataille. Cela réconfortait le barbare, car la soif du drow pour la bataille était encore plus forte que la sienne et il n’avait jamais vu les cimeterres tournoyants battus par un ennemi. Il frappa de nouveau son marteau et s’accroupit dans un fossé jouxtant les racines de l’un des arbres.

Bruenor se glissa entre les corps massifs de deux chevaux et mit ses pieds dans un étrier de chacun d’entre eux. Régis, de son côté, après avoir garni les paillasses afin de donner l’illusion de corps endormis, fila se mettre sous les branches qui touchaient presque terre de l’un des arbres.

Les orques approchèrent le camp en l’encerclant, à la recherche manifestement d’une attaque facile. Drizzt sourit avec espoir en remarquant les brèches dans le cercle. Toute la bande atteindrait en même temps le périmètre qui délimitait le bosquet d’arbres et Wulfgar, posté à la lisière, lancerait très certainement la première attaque.

Les orques arrivèrent en rampant. Un groupe se glissa vers les chevaux, l’autre vers les paillasses. Quatre passèrent devant Wulfgar, mais il attendit une seconde de plus, laissant les autres s’approcher suffisamment des chevaux pour permettre à Bruenor de frapper.

Puis le moment arriva où il ne fut plus temps de se cacher.

Wulfgar bondit de son fossé, Crocs de l’égide, son marteau de guerre magique, déjà en action.

— Tempus ! s’écria-t-il à l’adresse de son dieu de la guerre, et son premier coup s’abattit, écrasant deux des orques et les étendant raides sur le sol.

L’autre groupe se précipita pour détacher les chevaux et les faire s’enfuir du camp, espérant empêcher toute évasion.

Mais ils furent accueillis par le nain rugissant et sa hache sonore !

Tandis que les orques, stupéfaits, bondissaient vers les selles, Bruenor en fendit un en deux et en décapita un autre avant que leurs deux acolytes puissent même comprendre qu’ils avaient été attaqués.

Drizzt choisit comme cible les orques les plus proches des groupes essuyant l’attaque, afin de retarder les renforts contre ses amis aussi longtemps qu’il le pouvait. Son arc vibra, une fois, deux fois, et une troisième fois, et autant d’orques s’effondrèrent en étreignant les fûts des flèches mortelles.

Les attaques surprises avaient clairsemé les rangs ennemis et le moment était venu pour le drow de s’armer de ses cimeterres. Il sauta de son perchoir, certain que ses compagnons et lui-même pourraient en finir vite fait avec les autres. Mais son sourire s’évanouit aussitôt, car en descendant il remarqua d’autres mouvements dans le champ.

Drizzt était tombé sur trois créatures, ses lames tournoyant avant même que ses pieds aient touché le sol. Les orques ne furent pas complètement pris par surprise - l’un d’eux avait vu le drow sauter -, mais la manœuvre de Drizzt les déstabilisa et ils se mirent à brandir leurs armes à tort et à travers en cherchant à l’atteindre.

Face aux coups rapides comme l’éclair du drow, toute hésitation signifiait une mort certaine, et Drizzt était le seul à garder le contrôle au milieu de l’enchevêtrement de corps. Ses cimeterres tailladaient et plongeaient dans la chair des orques avec une précision meurtrière.

La chance souriait également à Wulfgar. Il affrontait deux des créatures et, s’ils étaient des combattants acharnés, ils n’étaient toutefois pas en mesure d’égaler la puissance du barbare géant. L’un réussit à lever son arme grossière à temps pour bloquer les frappes de Wulfgar, mais Crocs de l’égide pulvérisa la défense, fracassant l’arme, puis le crâne de l’infortuné orque sans même ralentir son effort.

Bruenor fut le premier à avoir des ennuis. Ses attaques initiales furent parfaitement orchestrées, le laissant avec seulement deux adversaires encore debout – une situation que le nain appréciait. Mais dans l’excitation, les chevaux reculèrent et s’emballèrent, arrachant leurs brides des branches. Bruenor dégringola à terre et, avant qu’il puisse reprendre ses esprits, le sabot de son propre poney le frappa à la tête. L’un des orques fut simplement jeté au sol, mais le dernier retomba indemne et se précipita pour achever le nain qui était étourdi, tandis que les chevaux s’enfuyaient.

Par chance, Régis fut saisi à ce moment précis d’un de ces accès spontanés de bravoure. Il sortit en rampant de sa cachette sous l’arbre, se plaçant silencieusement derrière l’assaillant. La créature était de grande taille pour un orque. Régis se tenait sur la pointe des pieds, mais il n’aimait pas l’angle qui se présentait à lui pour le frapper à la tête. Avec un haussement d’épaules résigné, le halfelin changea de stratégie.

Avant que l’orque puisse même commencer à frapper Bruenor, la masse du halfelin surgit entre ses genoux, remonta, s’enfonça dans l’aine et le souleva dans les airs. La victime serra sa blessure en hurlant, les yeux hagards, et retomba, ayant perdu toute envie de se battre.

La scène n’avait pris qu’un moment, mais la bataille n’était pas encore gagnée. Six autres orques rejoignirent la bagarre, deux d’entre eux empêchèrent Drizzt de venir à la rescousse de Régis et Bruenor, trois autres vinrent à l’aide de leur compagnon seul face au barbare. Et un dernier avait rampé le long de la même trajectoire que Régis avait empruntée et était sur le point de sauter sur le halfelin qui ne l’avait pas remarqué.

Au moment précis où Régis percevait le cri d’avertissement du drow, il reçut un coup de gourdin entre les épaules qui lui coupa violemment le souffle et le précipita au sol.

Wulfgar était harcelé de toutes parts et, en dépit de ses fanfaronnades avant la bagarre, il se rendit compte que la situation n’était guère plaisante. Il se concentra sur la parade des coups, espérant que le drow pourrait venir l’épauler avant que ses défenses soient anéanties.

Ses adversaires étaient trop nombreux.

Une lame brandie par un orque fit une entaille à la hauteur d’une côte, une autre le blessa au bras.

Drizzt savait qu’il pouvait se débarrasser des deux orques qui lui faisaient face, mais il ne pensait pas qu’il pourrait venir à l’aide du barbare ou du halfelin à temps. Et il y avait toujours des renforts dans le champ.

Régis roula sur le dos pour s’allonger tout près de Bruenor. Le grognement du nain lui indiqua que la lutte était finie pour eux deux. Puis l’orque fut sur lui. Il brandissait son gourdin au-dessus de sa tête, et un large sourire maléfique fendait sa face hideuse. Régis ferma les yeux, n’ayant aucune envie de voir tomber le coup qui allait le tuer.

Puis il entendit le son d’un impact au-dessus de lui.

Très étonné, il ouvrit les yeux. Une petite hache était fichée dans la poitrine de son attaquant. L’orque baissa les yeux pour la regarder, stupéfait. Le gourdin tomba tout simplement derrière lui, et il s’écroula en arrière, raide mort.

Régis ne comprenait pas.

— Wulfgar ? demanda-t-il.

Une immense silhouette, presque aussi impressionnante que Wulfgar bondit au-dessus de lui et sauta sur l’orque en arrachant sauvagement la petite hache de sa poitrine. C’était un humain et il portait les fourrures d’un barbare, mais contrairement aux membres des tribus de Valbise, l’homme avait les cheveux noirs.

— Oh non ! grogna Régis en se souvenant de ses propres avertissements à Bruenor au sujet des barbares Uthgardt.

L’homme lui avait sauvé la vie. Mais le halfelin connaissait sa réputation de sauvage et il doutait qu’une amitié naisse de cette rencontre. Il commença à se redresser, voulant exprimer ses sincères remerciements et dissiper toute velléité d’agression chez le barbare. Il envisagea même d’utiliser le pendentif en rubis pour invoquer des sentiments amicaux.

Mais le colosse remarqua que le halfelin bougeait. Il fit soudain volte-face et lui donna un coup de pied en plein visage.

Régis retomba en arrière et glissa dans les ténèbres.

Les Torrents D'Argent
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